L'éditeur de ce journal vient de recevoir de Mme Ruge, née Baenziger, une des plus anciennes amies de Mme Weber, la lettre suivante, qu’il est heureux de pouvoir faire imprimer ci-dessous: Ma chère Anna, Quatre-vingt-dix ans! Voilà pour la première fois dans notre amitié de longues années que je constate une indiscrétion de votre part; vous à qui l’on pouvait à bon droit reprocher un excès de discrétion tant sur le domaine de la pensée que sur celui de l’action. Et cependant, ces quatrevingt-dix ans vous ont été imposés par les puissances au dessus de nous. Certes, les années écoulées depuis la mort de votre mari vous ont placé devant line bien lourde tâche, mais d’autant plus lumineuse me semble votre vie avant ce douloureux événement. Que de multiples richesses, que de souvenirs précieux à des événements, auxquels j’ai pu prendre part. Au moment que je fis votre connaissance je me rappelle votre enthousiasme de pouvoir suivre des cours à l’université; vous et deux autres dames étudiantes parmi les premières admises à l’université. En pensées, je vous revois rentrant avec le professeur Weber d’un voyage aux Indes, votre sympathie pour les aborigènes de l’Insulinde, vos histoires savoureuses d’une réception par un prince indigène et de ses filles, votre haut estime pour un prêtre, le Rév. Père le Cocq d’Armandville et pour son travail dans l’île de Flores. Tout cela valait certes les récits habituels de voyage imprimés, souvent si longs et fastidieux. Comme je me rappelle la soirée, quand vous me racontiez de votre séjour dans l’extrême Nord à Tromsô, de votre course dans un petit bateau à partir de Vardô, piloté par un couple lappon à travers les rapides d’une rivière qui, aboutissant dans un fjord, devait vous conduire au débarcadère du vapeur, qui était sur le point de lever l’ancre pour le dernier départ de la saison vers le Sud. Encore maintenant je ressens votre tension: arrivons nous à temps, oui où non! Les provisions de voyage étaient épuisées, la vraie faim se faisait sentir, heureusement qu’au petit restaurant du port on faisait bouillir le saumon, la seule nourriture de l’endroit, mais voilà la sirène du vapeur, qui appelle d’urgence les voyageurs et empêche de goûter au saumon. Plus calmement et plus selon mon goût s’effectua l’excursion à l’île de Vlieland, que les deux couples d’amis entreprirent pendant un congé de la Pentecôte. Un char à bancs nous déposa à De Cocksdorp, le bateau-poste nous conduisit de Texel à Vlieland; en somme un voyage sans émotions et qui pourtant amena le conducteur de la chariole à nous demander s’il s’agissait pour nous autres vraiment d’une partie de plaisir.